Tout savoir sur les IRO, pilier de mise en œuvre de l'analyse de double matérialité

Par Stéphanie Biron
2 janvier 2025
4 min
Sommaire

Les IRO (impacts, risques, opportunités) sont une composante essentielle de la nouvelle directive européenne de reporting extra-financier, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Mais ils sont encore souvent perçus comme flous ou complexes.

Pourtant, bien plus qu’un acronyme bureaucratique, ils forment le socle d’une analyse stratégique qui oblige les entreprises à se questionner en profondeur sur leurs interactions avec les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Alors à quoi correspondent-ils concrètement, et comment les utiliser pour établir votre rapport de durabilité et sa stratégie ESG ? Dans cet article, nous vous guidons pour comprendre leur utilité et les exploiter efficacement.

À quoi correspondent les IRO ?

Un outil essentiel de priorisation des enjeux ESG

Les IRO correspondent à une méthodologie d’analyse structurée conçue pour aider les entreprises à identifier, évaluer et prioriser leurs enjeux ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance).

Ils permettent d’aider les entreprises à distinguer les sujets les plus importants des sujets secondaires, pour les transformer en actions concrètes.

Ils sont indissociables de la notion de “matérialité”, qui consiste à identifier les enjeux les plus significatifs pour une entreprise et ses parties prenantes. 

Ces enjeux "matériels" sont ceux qui influencent directement :

  • La création de valeur pour l’entreprise.
  • La gestion des risques auxquels elle fait face.
  • La réponse aux attentes sociétales, en tenant compte des impacts environnementaux et sociaux de ses activités.

Cette méthodologie de priorisation prend tout son sens dans le cadre de la CSRD, où la matérialité (et même la “double matérialité”) joue un rôle clé dans l’élaboration des rapports extra-financiers des entreprises.

Un concept au cœur de l’analyse de double matérialité de la CSRD

La CSRD impose aux entreprises de produire des rapports extra-financiers fondés sur le principe de double matérialité, c’est-à-dire en analysant leurs enjeux ESG sous deux angles complémentaires :

  1. La matérialité financière, qui examine comment des facteurs externes, tels que le changement climatique, de nouvelles régulations ou des attentes sociétales, peuvent affecter directement la performance économique et la résilience de l’entreprise.
  1. La matérialité d’impact, qui s’intéresse aux effets que les activités de l’entreprise ont sur l’environnement et la société, en adoptant une perspective plus globale et tournée vers l’extérieur.

Les IRO jouent donc un rôle central dans cette analyse, puisqu’ils permettent aux entreprises de définir et de hiérarchiser leurs enjeux ESG à travers ce double prisme, offrant une cartographie complète et précise des priorités stratégiques.

Ils aident ainsi les entreprises à structurer leur rapport de durabilité de façon cohérente et rigoureuse tout en justifiant clairement leurs choix auprès des parties prenantes.

Les IRO à la loupe

I pour impacts

La dimension "impacts" se concentre sur les effets qu’une entreprise génère sur son environnement, la société ou les parties prenantes. Ils peuvent être positifs ou négatifs, et s’inscrivent dans la matérialité d’impact, qui adopte une vision tournée vers l’extérieur.

Exemple concret : une entreprise textile mesure l’impact environnemental de sa consommation d’eau et des émissions de CO₂ générées par sa chaîne d’approvisionnement. Ces données permettent d’identifier les zones où l’entreprise doit agir pour réduire ses effets négatifs, par exemple en adoptant des pratiques plus durables ou en travaillant avec des fournisseurs écoresponsables.

R pour risques

Les risques, quant à eux, s’inscrivent dans la matérialité financière. Ce volet de l’analyse vise à évaluer comment des facteurs externes, comme les changements climatiques, les évolutions réglementaires ou les attentes des parties prenantes, peuvent affecter la performance économique ou la résilience de l’entreprise.

Exemple concret : une entreprise agricole anticipe les conséquences des vagues de chaleur plus fréquentes sur ses rendements. Cette prise de conscience lui permet de prévoir des solutions, telles que la diversification des cultures ou l’investissement dans des technologies résistantes aux conditions climatiques extrêmes.

O pour opportunités

Enfin, les opportunités révèlent les avantages que l’entreprise peut tirer des évolutions ESG. Elles permettent de transformer des contraintes apparentes en avantages compétitifs, en identifiant des initiatives qui renforcent à la fois la durabilité et la performance financière.

Exemple concret : une entreprise du secteur de l’énergie investit dans des panneaux solaires pour alimenter ses installations. Cela réduit ses coûts opérationnels sur le long terme tout en répondant à la demande croissante de solutions durables.

Comment intégrer les IRO dans son reporting CSRD et sa stratégie ESG ?

Dresser la liste des enjeux ESG

Pour intégrer efficacement les impacts, risques et opportunités (IRO) dans le reporting CSRD et la stratégie ESG, il est essentiel de commencer par établir une liste des enjeux ESG potentiellement matériels pour l’entreprise.

L’exercice consiste donc à analyser toutes les problématiques liées aux dimensions environnementales, sociales et de gouvernance, pour élaborer une cartographie complète des enjeux ESG.

Cette analyse doit être effectuée sur tous les maillons de la chaîne de valeur, en prenant en compte non seulement les activités de l’entreprise, mais aussi celles de ses parties prenantes (scope étendu).

L’objectif à ce stade est d’obtenir une vision globale et complète des enjeux ESG, en anticipant ceux qui pourraient avoir un impact sur les performances et la durabilité de l’entreprise.

Déterminer la matérialité de chaque enjeu ESG

Chaque enjeu doit ensuite être analysé pour évaluer son importance. Cela passe par l’élaboration d’une échelle de cotation qui quantifie des critères comme l’ampleur, l’étendue, le caractère irréversible et la probabilité d’occurrence des impacts potentiels de chaque enjeu ESG.

Concrètement, les critères à prendre en compte sont les suivants :


IMPACTS

(matérialité d’impact)

Impacts positifs

Impacts négatifs

Impact réel

Impact potentiel

Impact réel

Impact potentiel

Critères de matérialité

- Ampleur

- Étendue

- Terme (court, moyen, long)

- Ampleur

- Étendue

- Probabilité

- Terme (court, moyen, long)

- Ampleur

- Étendue

- Irrémédiabilité

- Terme (court, moyen, long)

- Ampleur

- Étendue

- Irrémédiabilité

- Probabilité

- Terme (court, moyen, long)



RISQUES ET OPPORTUNITÉS

(matérialité financière)

Risques

Opportunités

Critères de matérialité

- Ampleur des effets financiers

- Probabilité

- Terme (court, moyen, long)

- Ampleur des effets financiers

- Probabilité

- Terme (court, moyen, long)


L’échelle de cotation n’est pas imposée par les textes de la CSRD : chaque entreprise peut donc choisir de déterminer la valeur qu’elle affecte à chaque facteur, par exemple de 0 à 3 ou de 1 à 5.

Identifier les IRO à inclure dans le rapport CSRD et la stratégie ESG

Une fois les enjeux clairement identifiés et quantifiés, l’entreprise doit définir des seuils pour déterminer ceux qui sont matériels, et qui seront donc inclus dans le rapport CSRD. 

Les résultats obtenus peuvent être présentés dans une matrice de double matérialité, qui combine les impacts financiers et extra-financiers et présente les enjeux ESG prioritaires de manière synthétique et visuelle.

Les IRO ainsi retenus serviront de base pour structurer le rapport de durabilité, articulés avec les indicateurs clés, définis par les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards). Ces normes offrent un cadre structurant pour assurer que les informations incluses dans le rapport CSRD sont conformes, pertinentes et exploitables..

Faire une synthèse de la méthodologie utilisée

Dans son rapport de durabilité, l’entreprise doit également répondre aux exigences de publication définies par les indicateurs IRO-1 et IRO-2, en fournissant une documentation claire sur la méthodologie utilisée pour identifier, évaluer et prioriser les IRO. 

Le rapport doit notamment inclure :

  • Une description des hypothèses et outils employés pour l’analyse.
  • Une vue d’ensemble du processus, expliquant comment les IRO ont été évalués et intégrés dans la gestion des risques et des opportunités.
  • Les sources de données utilisées, le périmètre couvert, ainsi que les éventuelles évolutions de la méthodologie par rapport aux périodes précédentes.

Ce travail doit permettre de justifier les enjeux retenus, tout en apportant une explication claire pour ceux qui n’ont pas été retenus.

En documentant de manière transparente la méthodologie employée et les critères d’analyse, l’entreprise renforce par ailleurs la crédibilité de son rapport et démontre son engagement à aligner son reporting ESG sur les meilleures pratiques et standards européens. 

Les IRO constituent, pour conclure, une grille d’analyse dynamique qui permet aux entreprises de hiérarchiser leurs enjeux ESG, et de les relier à leur stratégie, leur reporting et leurs décisions opérationnelles. Ils offrent ainsi un levier concret pour transformer les contraintes en opportunités stratégiques et aligner performance durable et création de valeur !