ISSB, taxonomie, SEC, bilan GES, CSRD… ces concepts vous parlent ? Si oui, c’est que vous vous intéressez probablement déjà aux réglementations et normes de reporting ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
Mais peut-être n’êtes-vous pas totalement au clair sur les différentes règles et cadres de divulgation des informations extra-financières qui existent en France, et partout dans le monde.
Il faut dire qu’il y a de quoi s’y perdre ! Naviguer dans le monde des rapports de durabilité implique en effet de se confronter à un déluge d'acronymes barbares et à des réglementations qui varient parfois fortement d'une région à l'autre.
Alors, dans cet article, nous décortiquons les différents cadres réglementaires et normatifs du reporting ESG, pour vous aider à y voir plus clair.
Au menu :
- Tout comprendre aux cadres normatifs et réglementaires du reporting ESG
- Les normes ou standards de référence
- Les réglementations sur le reporting ESG
- Vers une convergence des règles et standards au niveau mondial ?
Tout comprendre aux cadres normatifs et réglementaires du reporting ESG
Pourquoi encadrer la divulgation d’informations de durabilité ?
La transition durable des entreprises prend aujourd’hui une importance croissante, et les initiatives ESG des organisations sont de plus en plus scrutées à la loupe.
Le problème, c’est que pour pouvoir évaluer efficacement les efforts de durabilité des entreprises et les comparer entre eux, il faut qu’il y ait un cadre commun. Une sorte de langage universel. Sinon, les entreprises peuvent décider sur quoi elles communiquent ou non, comment elles interprètent leurs données, et c’est la porte ouverte au greenwashing.
C’est là qu’interviennent les cadres normatifs et réglementaires : leur objectif est de créer plus d’homogénéité dans les informations partagées par les entreprises, et d’établir des règles du jeu équitables pour tous.
Ces cadres visent aussi à améliorer la qualité du reporting, pour faciliter, à terme, le pilotage de la transformation durable des entreprises. Car tant que les normes de reporting ESG ne seront pas de qualité équivalente à celle des normes de reporting financier, les enjeux de durabilité resteront secondaires.
Normes, standards, frameworks, réglementations… de quoi parle-t-on exactement ?
Lorsqu'on explore les différents cadres du reporting ESG, on se heurte à un foisonnement de termes tels que "normes", "standards", "frameworks" ou encore "directives". Et il peut être difficile de s’y retrouver.
Il faut bien comprendre que ces termes recouvrent deux niveaux bien distincts :
- Le cadre normatif : il s’agit des normes, standards, ou frameworks, qui correspondent à des référentiels. Ce sont donc des outils méthodologiques qui fixent la structure du reporting, les indicateurs spécifiques à inclure ou encore les modes de calcul associés. Mais il ne s’agit pas d’obligations en tant que telles.
- Le cadre réglementaire : il s’agit des obligations légales des entreprises en matière de divulgation d'informations ESG. Ce cadre, qui varie d’un pays à l’autre ou d’une région à l’autre, s'appuie souvent sur un cadre normatif dans la mesure où ils imposent parfois l’utilisation de normes ou standards spécifiques, en précisant comment ils doivent être appliqués.
Pour résumer : les normes et standards ne sont que prescriptifs, à moins qu’une réglementation ne les rendent obligatoires.
Les normes ou standards de reporting ESG
Comme on l’a vu, les normes ou standards du reporting ESG sont des référentiels, généralement conçus par des organismes internationaux indépendants, et qui sont mis à disposition des entreprises pour les aider à structurer leur approche.
Il en existe une multitude ! Au point que, pendant longtemps, le paysage global du reporting ESG était peu lisible. Mais aujourd’hui, 3 normes émergent comme les modèles de référence.
Les 3 normes de référence au niveau mondial
- Les normes GRI
La Global Reporting Initiative (GRI) est une organisation internationale indépendante, qui a été particulièrement pionnière dans le développement de normes de reporting de durabilité au niveau mondial, puisqu’elle a été fondée dès la fin des années 1990.
La GRI a commencé par publier des lignes directrices en matière de reporting ESG à partir des années 2000 (G1, puis G2, G3, et enfin G4), puis elle a établi la première norme mondiale de reporting ESG en 2016.
Les normes GRI sont aujourd’hui structurées de manière modulaire, avec 3 niveaux d’information :
- Les normes universelles, qui s'appliquent à toute organisation et couvrent les principes fondamentaux du reporting, la gestion de l'organisation et la divulgation des impacts matériels.
- Les normes thématiques, qui se concentrent sur des impacts spécifiques liés à l'environnement, aux pratiques sociales et à la gouvernance.
- Les normes sectorielles, qui visent à aborder les questions de durabilité spécifiques à certains secteurs économiques.
Les normes GRI sont parmi les plus utilisées à travers le monde, et elles continuent d’ailleurs d’évoluer : début 2024, de nouveaux standards de reporting ont par exemple vu le jour sur la biodiversité (GRI 101) et sur le secteur minier (GRI 14).
- Les normes IFRS de l’ISSB
L’ISSB (International Sustainability Standards Board), est un autre organisme de normalisation indépendant, créé en 2021 lors de la COP 26, dans le cadre de la fondation IFRS (International Financial Reporting Standards).
Il est présidé par Emmanuel Faber (ancien directeur général de Danone), et il ambitionne de créer un référentiel mondial complet en matière d’informations sur le développement durable, axé sur les besoins des investisseurs et des marchés financiers.
L’ISSB a établi 2 premières normes, publiées en mars 2023, et entrées en vigueur début 2024 :
- L’IFRS S1 (“General Requirements for Disclosure of Sustainability-related Financial Information”) : elle établit les grands principes en matière de reporting ESG, et les grandes thématiques qui doivent y être intégrées.
- L’IFRS S2 (“Climate-related Disclosures”) : elle se concentre sur les risques et opportunités générés par les questions climatiques.
De nouvelles normes, dédiées à d’autres enjeux de durabilité, devraient être publiées à l’avenir pour compléter l’IFRS S1 et S2.
Comme on va le voir un peu plus loin, les normes de l’ISSB s’appuient en réalité sur les travaux et les recommandations de plusieurs organismes aujourd’hui intégrés à l’IFRS, qui avaient eux-même précédemment publié leurs propres normes (les standards SASB, CDSB, ou encore TCFD).
- Les normes ESRS de l’EFRAG
Développées par l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) sont, comme leur nom l’indique, des normes européennes, publiées récemment dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).
Elles sont encore en cours d’élaboration, mais un premier lot de 12 normes a été publié au Journal officiel de l’UE fin juillet 2023 :
- 2 normes “transversales” :
ESRS 1 Exigences générales (“General Requirement”)
ESRS 2 Informations générales (“General disclosures”)
- 5 normes en lien avec le volet environnemental :
ESRS E1 Changement climatique
ESRS E2 Pollution
ESRS E3 Ressources marines et en eau
ESRS E4 Biodiversité et écosystèmes
ESRS E5 Utilisation des ressources et économie circulaire
- 4 normes en lien avec le volet social :
ESRS S1 Main d’oeuvre de l’entreprise
ESRS S2 Employés de la chaîne de valeur
ESRS S3 Communautés concernées.
ESRS S4 Consommateurs et utilisations
- 1 norme en lien avec la gouvernance :
ESRS G1 Conduite commerciale
Pour compléter ces 12 premières normes, l’EFRAG travaille actuellement sur une quarantaine de normes sectorielles.
Ce qui distingue tout particulièrement les ESRS, c’est incontestablement leur approche basée sur le concept de double matérialité. Mais on y reviendra, là encore, un peu plus loin !
Les autres normes et initiatives à connaître
Les normes SASB
Le SASB (Sustainability Accounting Standards Board) est une organisation à but non lucratif fondée en 2011, qui a publié des normes de reporting financier en 2018. Ces normes ont depuis connu plusieurs mises à jour, la dernière en date ayant été partagée en décembre 2023.
Les normes SASB sont conçues pour être spécifiques à chaque secteur et c’est ce qui les rend uniques : elles couvrent 77 industries, afin de refléter les enjeux ESG les plus pertinents pour chaque domaine d'activité.
Les normes SASB sont très utilisées, notamment aux États-Unis, souvent conjointement avec d’autres standards comme les normes GRI ou les normes ISSB car leurs référentiels sont très complémentaires.
Le SASB a d’ailleurs fusionné en 2021 avec l'IIRC (International Integrated Reporting Council) pour former la VRF (Value Reporting Foundation), qui a elle-même été absorbée par la fondation IFRS en juin 2022. Les normes SASB entretiennent donc un lien étroit avec les normes SASB.
Le framework CDSB
Le CDSB (Climate Disclosure Standards Board) est une initiative lancée en 2007. Elle a publié une première version de son framework de reporting ESG en 2010, en se concentrant sur les problématiques liées au changement climatique.
Une mise à jour en 2015 a ensuite élargi le scope pour inclure un reporting environnemental plus large, et une autre en 2022 a intégré des facteurs sociaux ESG.
Bien qu'il soit toujours mis à disposition des entreprises, le framework CDSB n’est toutefois plus voué à être actualisé car le CDSB a lui aussi été intégré à la fondation IFRS en 2022.
Les recommandations TCFD
Le TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures) a été créé en 2015 par le FSB (Financial Stability Board).
En 2017, il a publié 11 recommandations structurées autour de 4 thèmes clés :
- La gouvernance
- La stratégie
- La gestion des risques
- Les indicateurs et objectifs
Les guidelines du TCFD sont extrêmement suivies dans le monde, d’autant plus que certains pays comme le Royaume-Uni, le Japon, ou le Canada encouragent ou exigent leur adoption dans les pratiques de reporting des entreprises. Mais, tout comme le framework CDSB, les recommandations TCFD ne seront plus actualisées, et les entreprises sont plutôt désormais encouragées à suivre les normes de l’ISSB.
Le cadre de reporting CDP
Le CDP (Carbon Disclosure Project) est une organisation fondée en 2000, qui propose un framework de reporting majoritairement concentré sur les émissions de gaz à effet de serre.
Il utilise des questionnaires adaptés à différents secteurs et enjeux environnementaux pour collecter des données pertinentes et spécifiques. Ces questionnaires facilitent la divulgation structurée et la comparaison des données entre les entreprises.
Sur la base des informations divulguées, le CDP évalue les entreprises et leur attribue des scores reflétant l'efficacité de leur gestion des enjeux climatiques. Les données recueillies sont mises à disposition des investisseurs, entreprises, gouvernements et du public.
Le framework PRI pour la finance responsable
Les PRI (Principles for Responsible Investment) sont une initiative mondiale de premier plan lancée en 2006 avec le soutien des Nations Unies.
Ils fournissent un cadre volontaire par lequel les investisseurs institutionnels et autres parties du secteur financier peuvent intégrer les considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions d'investissement et la gestion de leur portefeuilles.
Ils se fondent sur 6 principes :
- Intégrer les questions ESG dans les processus d'analyse et de décision en matière d'investissement.
- Être des propriétaires actifs et intégrer les questions ESG dans les politiques et pratiques de propriété.
- Chercher à obtenir des entités dans lesquelles les investisseurs institutionnels investissent une information appropriée sur les questions ESG.
- Promouvoir l'acceptation et la mise en œuvre des principes au sein du secteur de l'investissement.
- Travailler ensemble pour améliorer l'efficacité des investisseurs dans la mise en œuvre des principes.
- Rendre compte de ses activités et des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes.
Le rapport CoP de l’UNGC
Le CoP est une vaste initiative de reporting ESG qui s’inscrit dans l’UNGC (United Nations Global Compact), le Pacte Mondial des Nations Unies.
Les entreprises participantes soumettent un rapport annuel de Communication sur le Progrès (CoP) qui détaille leur adhésion à 10 principes sur les droits de l'homme, les pratiques de travail, l'environnement et les mesures anti-corruption.
Plus de 47 000 rapports CoP ont été soumis au total, selon le Pacte Mondial, qui en 2023 a lancé une nouvelle plateforme numérique avec un questionnaire standardisé. Une plateforme séparée qui combine les principes du Pacte Mondial et les normes GRI a également été mise en place.
Le cadre réglementaire du reporting ESG
Maintenant que nous avons démêlé toutes les subtilités du cadre normatif du reporting ESG, passons au cadre réglementaire ! Il diffère bien évidemment selon les pays et les régions du monde.
En Europe
Le cadre réglementaire européen du reporting ESG reflète l'engagement croissant de l’UE en faveur de la durabilité et de la transparence.
L'UE a en effet mis en place des réglementations relativement strictes pour encourager les entreprises à adopter des pratiques plus durables et à communiquer ouvertement sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Voici les piliers du cadre réglementaire européen en matière de reporting ESG :
- La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)
Cette directive, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, succède à une autre directive, la NFRD (Non-Financial Reporting Directive), dont elle vient élargir et renforcer le champ d’application.
Elle impose aux entreprises de structurer leur reporting selon les normes ESRS, dont on a parlé précédemment, et s’applique à plus de 50 000 organisations.
- La SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation)
Ce règlement, entré en application le 10 mars 2021, s’applique plus spécifiquement aux entités et produits financiers.
Il impose aux gestionnaires d'actifs et aux conseillers financiers de divulguer la manière dont ils intègrent les considérations ESG dans leurs décisions d'investissement et d'évaluer l'impact de leurs produits financiers sur des facteurs de durabilité.
- La taxonomie verte européenne
Ce règlement, lancé par la Commission européenne en 2018, établit un système de classification des activités économiques considérées comme écologiquement durables.
Pour qu’une activité soit “verte”, elle doit répondre à au moins l’un des six objectifs suivants, sans causer de préjudice important aux autres objectifs :
- Atténuation du changement climatique
- Adaptation au changement climatique
- Utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines
- Transition vers une économie circulaire
- Contrôle de la pollution
- Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes
Par ce système, elle impose à de nombreuses entreprises et acteurs financiers de publier des informations précises sur la durabilité de leurs activités.
- Les régulations spécifiques à chaque pays membre
Outre les directives et réglementations de l'UE, plusieurs pays membres ont mis en place leurs propres règlements pour encourager le reporting ESG et la durabilité.
Par exemple, en France, dans le cadre de la loi Grenelle II, le bilan GES oblige certaines entreprises à évaluer et rapporter régulièrement leurs émissions de gaz à effet de serre.
Dans le reste du monde
Au-delà des frontières européennes, le cadre réglementaire du reporting ESG varie considérablement, reflétant les différentes approches et priorités régionales en matière de durabilité et de responsabilité sociale des entreprises.
Par exemple :
- Aux États-Unis, le texte de référence est la SEC (Securities and Exchange Commission). Il impose depuis mars 2022 aux entreprises cotées de divulguer certaines informations sur le climat dans leurs dépôts réglementaires, y compris les émissions de gaz à effet de serre et l'impact du changement climatique sur leurs activités.
- Au Royaume-Uni, les entreprises sont tenues de divulguer leurs risques et opportunités liés au climat selon les recommandations de la TCFD. La FCA (Financial Conduct Authority) a également introduit la réglementation SDR (Sustainability Disclosure Requirements) pour renforcer la transparence des acteurs financiers.
- En Asie, de nombreux pays ont mis en place des règles de reporting ESG, comme le Japon ou Singapour, et la Chine a également fait des progrès significatifs en introduisant des exigences de divulgation obligatoire des informations environnementales pour certaines entreprises et secteurs.
Reporting ESG : vers une convergence des règles et standards au niveau mondial ?
L’enjeu de l’interopérabilité des normes de reporting
On l’a bien vu dans cet article : les normes et directives sur le reporting ESG sont diverses et variées au niveau mondial ! Et cela pose évidemment un problème d’harmonisation.
Les entreprises qui opèrent à un niveau international se voient en effet parfois obligées de suivre plusieurs référentiels ou de se conformer à plusieurs cadres réglementaires différents.
Les investisseurs et les parties prenantes sont quant à eux confrontés à la difficulté d'évaluer et de comparer la performance ESG des entreprises opérant dans différents systèmes réglementaires.
Pour toutes ces raisons, il existe aujourd'hui un consensus général sur la nécessité d'œuvrer à une convergence des normes de reporting ESG. Le GRI et l'ISSB travaillent par exemple à aligner leurs approches et à explorer des synergies entre leurs cadres de reporting, à travers le SIL (Sustainability Innovation Lab) créé en novembre 2023.
L’ISSB et l’EFRAG ont également engagé un dialogue pour explorer les moyens d'aligner leurs travaux sur les normes IFRS et ESRS, qui sont les référentiels privilégiés dans les pays anglo-saxons et les pays européens.
Mais les échanges se heurtent à des défis en matière de souveraineté, ainsi qu’à des divergences d’approche.
Deux écoles en matière de reporting ESG : la simple matérialité et la double matérialité
Deux approches profondément différentes émergent parmi les différentes normes et cadres réglementaires de reporting ESG :
- La simple matérialité : elle consiste à se focaliser sur l'impact des enjeux ESG sur la performance financière de l'entreprise.
- La double matérialité : elle élargit la perspective en examinant non seulement comment les facteurs ESG influencent l'entreprise, mais aussi comment les activités de l'entreprise affectent l'environnement et la société. Cette approche vise à offrir une vision complète de l'impact de l'entreprise, en répondant ainsi aux préoccupations d'une gamme plus large de parties prenantes.
Si les standards et organismes normatifs anglo-saxons, comme l’ISSB, privilégient la simple matérialité, l’UE a fait le choix d’inscrire la double matérialité au cœur de son cadre réglementaire avec la CSRD et les ESRS.
Cette divergence profonde reflète des philosophies différentes sur la finalité du reporting ESG, et entrave donc les initiatives en matière de convergence des normes et réglementations.
Une chose est sûre pour conclure : ce panorama des cadres normatifs et réglementaires du reporting ESG est voué à continuer à évoluer dans les prochaines années. Alors, si le sujet vous intéresse, soyez en veille !